sexisme

Isabeau de Bavière, épouse d’un monarque normal

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Isabeau de Bavière. Source http://de.wikipedia.org/wiki/Isabeau

« Isabeau n’était pas capable de grandeur. » Voilà un jugement sans appel, lancé à la tête d’une lectrice de 2014 comme moi qui ne demandait rien. Aucune source n’est citée pour appuyer cet assassinat historique d’Isabeau de Bavière, reine de France et épouse de Charles VI. L’auteur de ces lignes, Philippe Erlanger, ne semblait pas conscient de l’influence exercée par l’Histoire récente sur le jugement de ce personnage. Née vers 1370 probablement à Munich, Élisabeth de Bavière fut marié en 1385 au roi de France Charles VI. Reine de France jusqu’en 1422, elle mourut à Paris en 1435. Quand est-ce qu’elle a changé son prénom, et pourquoi? Je cherche en vain une réponse dans le livre d’Erlanger. Publié en 1945, Charles VII et son mystère, l’ouvrage dont est tiré la phrase du début de l’article, porte ouvertement les stigmates de deux Guerres mondiales. En continuant, je tombe sur une phrase qui évoque ironiquement une certaine actualité en France. Isabeau, écrit Erlanger, fut l« épouse d’un monarque normal » (p. 22). Normal, le roi Charles VI?! Mais je ne suis pas au bout de mes surprises. Isabeau, apprends-je, n’a pas seulement mauvais caractère, elle est aussi une mauvaise reine, elle n’est même pas Française à vrai dire, et bien entendu une « mauvaise mère », comme clame haut et fort le titre du premier chapitre. Isabeau, c’est l’Obsédée de Bavière, de ses châteaux et ses lacs, qui en plus vole les bons Français:

« La Bavaroise aimait les richesses. Pour les gaspiller ou pour les enfouir au fond des souterrains. Pour sa sauvegarde et pour ses plaisirs. (…) Dix-sept années vécues en France n’avaient réussi qu’à exalter sa passion pour sa famille, pour sa patrie. Aucun paysage n’effaçait à ses yeux les montagnes et les lacs bavarois, aucun chevalier ne lui paraissait égaler son frère Louis le Barbu dont elle eût voulu un connétable. Les bonnes gens l’accusaient d’envoyer des trésors en Allemagne, l’appelait l’Étrangère. Elle haussait l’épaule, se souciant peu de popularité. »

Ce mélange de nationalisme et d’anachronisme, parsemé de misogynie, crée un Moyen Âge imaginaire et décadent. Mais ce n’est pas fini. Isabeau la Traînée ressemble plutôt à une odalisque lascive et obscène qu’à une reine de France du 15ème siècle:

« La fécondité de cette déesse du plaisir ne causait nu tort à son élégance, puisque la mode imposait aux femmes de conformer leur taille à celle de leur souveraine et de porter le ventre en avant. Ainsi, auréolée de gemmes, sa lourde gorge offerte, éblouissante de velours, d’hermine et d’or, Madame la Reine passait-elle, triomphante, des festins aux tournois, des bals aux cours d’amour. »

Tout cela ne m’a pas plu, pourtant ce ne sont que les deux premières pages du livre! De quel droit peut-on diffamer une femme de telle sorte? Certes, Isabeau est morte depuis 600 ans et ne risque plus de protester ou de traîner l’auteur de l’ouvrage en justice (qui d’ailleurs est mort lui aussi). Oui, c’est une étrangère, donc une victime facile, une « âme purement germanique », « fière de ses seins », selon les mots de Philippe Erlanger. Qu’est-ce, une âme germanique?! Et pourquoi elle ne devrait pas être fière de ses seins? Je m’arrête ici pour me calmer et poursuivre ma lecture. À suivre donc (si vous voulez bien).

Philippe Erlanger, Charles VII et son mystère. Éditions Gallimard, 1945 (1981).